Rachid BOUFOUS à propos de la Loi 66-12

Chers confrères et consœurs,

Cet espace d'information et de concertation est important, car il permet de véhiculer des idées qui nous permettront de mettre sur pied une plateforme de propositions concrètes à soumettre au plus vite, à travers les instances ordinales aux représentants de l'état afin de réformer la loi 66.12.

De mon côté, je suis mobilisé afin d'apporter mon aide dans le cadre d'ateliers, de réunions ou de débats avec les autres partenaires ou professionnels du secteur, à chaque fois que cela s'avérera nécessaire. Je l'ai démontré encore récemment, lors de mon intervention à la radio RTM, où, j'ai échangé pendant une heure avec d'autres intervenants du secteur à propos de notre métier et de nouvelle la loi sur l'urbanisme. Mais revenons à l'essentiel.

À la lecture du texte de la loi 66.12, qui soulève beaucoup de questions au sein de notre profession, on remarque qu'il a été rédigé dans la précipitation, sans réelle concertation avec les principaux acteurs du secteur. On peut y noter aussi quelques confusions dans les principes et règles de droit, d'égalité et de liberté. Il apparaît à première vue, que le but recherché dans cette loi étant d'appliquer des mesures coercitives sévères dès qu'une irrégularité est constatée, et ce, sans chercher à écouter sereinement les professionnels investis dans les projets incriminés.

En effet, la loi dit clairement, entre autres articles, que dès le constat d'une ou plusieurs irrégularités dans un projet, les vérificateurs, investis des pouvoirs de police judiciaire, sont habilités à rédiger un procès-verbal de contravention et sont aussi tenus d'arrêter les travaux, de fermer les chantiers, d'évacuer tous les ouvriers, et de saisir tout le matériel de construction. Connaissant la complexité des projets d'architecture, surtout pour les plus importants d'entre eux et les conditions dans lesquelles les dits chantiers sont gérés, ces dispositions ont de quoi faire peur, quand on connaît aussi le mode d'intervention de l'administration dans la gestion des problèmes urbains. Un abus d'autorité n'est jamais bien loin...

Alors je pose quelques questions, dont je ne trouve nulle réponse dans la loi elle-même :

  • Comment ces vérificateurs vont-ils se comporter face à des irrégularités constatées dans des bâtiments publics ou des projets relevant de l'administration ?
  • Que faire en cas de constat d'une irrégularité commise ou constatée dans un projet étatique et qui soit le fait d'un architecte de l'administration, d'un directeur d'établissement public, ou de tous autres fonctionnaires étatiques importants, s'il leur venait l'idée de procéder de leur propre chef à des modifications hors des plans autorisés, ou du consentement de l'architecte auteur du projet ou information de ce dernier ?
  • Qui doit-on informer et/ou "dénoncer", si nous venions à constater nous-mêmes, en tant qu'architectes, les dites irrégularités dans un projet étatique ?
  • Le délai pour procéder à cette "dénonciation" étant fixé à 48 heures dans ladite loi, sans mention si ce délai était ouvrable ou non, comment faire et à qui s'adresser si la constatation est faite un vendredi après-midi, ou en fin de semaine par exemple ? À qui doit-on s'adresser le Samedi et le Dimanche, car le Lundi ça sera déjà trop tard pour le faire ?
  • Comment un architecte exerçant dans le public et faisant partie de l'ordre des architectes pourrait-il exercer ses fonctions de contrôle, en toute impartialité, et de procéder à ces constats, sans être en contradiction avec l'esprit même d'appartenance au corps des architectes dont il doit pourtant défendre les intérêts en étant au minimum solidaire avec ses confrères et consœurs ?

À ces questions, et il y'en aura bien d'autres qui apparaîtront à l'avenir, la loi 66.12, quant à elle, reste désespérément muette à ce jour. Et pourtant, cette loi est nécessaire, car des abus et des irrégularités, il y'en a aussi du côté des constructeurs et autres auto-promoteurs, sans parler du phénomène qui a été à la base de tous les dépassements constatés : les architectes signataires...

En tant qu'architectes professionnels, nous appliquerons cette loi et toutes celles qui existent, mais nous attirons l'attention des pouvoirs publics sur les difficultés inhérentes à son application, et des divers problèmes qu'elle ne manquera pas de soulever ou d'engendrer et qui sont liés à son interprétation par tous.

Certes AUCUN projet n'est à l'abri d'erreurs professionnelles qu'elles soient le fait des architectes, des ingénieurs spécialisés ou des topographes. Il n'en demeure pas moins que ces erreurs, quand elles surviennent, ne sont jamais intentionnelles de la part des dits professionnels du secteur. Les acteurs techniques, architectes et ingénieurs divers sont de vrais professionnels, qui exercent leurs métiers dans le respect des règles de l'art et des lois et règlements en vigueur au Maroc.

Une loi aussi parfaite soit-elle ne peut être applicable sans la bonne volonté et la rigueur de tous les intervenants. Notre métier d'architecte et d'urbaniste étant hautement technique, les autorités qui sont habilitées à le contrôler doivent être hautement compétentes aussi, ce qui est loin d'être le cas dans beaucoup de villes et de régions. Accepter le texte de loi 66.12 tel qu'il est écrit aujourd'hui, c'est accepter la condamnation à terme de notre métier, voir son extinction dans les prochaines années... Ce qui va se passer dans les prochaines semaines sera décisif. Il est donc primordial et nécessaire de demander aux différentes autorités publiques les actions suivantes afin d'éviter une paralysie du secteur de l'immobilier :

  1. Il est urgent de demander à l'état et au gouvernement actuel ou futur, d'instaurer un moratoire sur la loi 66.12, jusqu'à sa révision au parlement, car dans l'état actuel des choses, elle est difficilement applicable, et ce, par manque d'interlocuteurs fiablesque la loi elle-même se propose de définir par voie réglementaire, ultérieurement...;
  2. Il est urgent de demander au futur gouvernement d'introduire un amendement des articles qui posent des problèmes d'applicabilité dans ladite loi;
  3. l est urgent d'adresser aux autorités de l'état et à l'opinion publique un livre blanc sur les différents aspects de l'acte de bâtir au Maroc, afin qu'ils prennent conscience des particularités et des difficultés de notre métier, des risques encourus par tous, et des conséquences économiques, sociales et politiques qui découleront par une application tatillonne ou hasardeuse de la loi 66.12, sans concertation avec les principaux acteurs du secteur;
  4. Il est urgent d'adresser enfin une requête en constitutionnalité de ladite loi aux diverses autorités compétentes. La loi 66.12 ne permet pas le libre exercice du métier d'architecte tel que reconnu par les différentes lois et et soumet cette profession à la tutelle de l'administration.

Le Maroc reste un pays largement encadré par des lois dans tous les domaines et particulièrement dans ceux de la construction, de l'urbanisme et de l'immobilier. C'est à ce titre que les investisseurs locaux et étrangers font confiance à notre pays. Les architectes souscrivent pleinement au respect et à l'application des lois et règlements en vigueur. Toutefois la loi, quelle qu'elle soit se doit d'être équilibrée, afin que la justice qui en découle soit équitable envers tous...

Rabat le 12/12/2016
Rachid BOUFOUS
Architecte-Urbaniste

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1 thoughts on “Rachid BOUFOUS à propos de la Loi 66-12”

Portrait de Nabil KHAYARI
Nabil KHAYARI (non vérifié)
Merci ssi Rachid pour votre publication qui ne m’a pas laissé indifférent envers la nouvelle loi 66.12. Tout d’abord on doit mettre les choses dans leur contexte professionnel, et pour être honnête je peux fièrement dire, que malgré les lacunes et/ou les erreurs des architectes, nous restons les seuls organisés dans le secteur. Dans ce qui suit je partage avec vous ce p’tit questionnement pour approfondir la réflexion et arriver au vif du sujet : Pourquoi les entrepreneurs n’ont pas d’agrément d’exercer ? Ni label de spécialisation ? Pourquoi on ne trouve pas d’ordre des ingénieurs qui organise et répond à la question : « qui fait quoi et comment ? » N’est il pas informel de trouver des bureaux d’études (personne moral) sous la direction des m3allem d’chkara (non professionnel) qui loue le cachet chez un ingénieur à 5000 MAD/mois ? Pourquoi on ne trouve pas les techniciens du domaine inscrits sous un seul organisme ? Vous ne trouvez pas le fait d’autoriser aux différents intervenants (topographes, constructeurs, ingénieurs spécialisés) d’exercer sous forme des sociétés et l’interdire aux architectes, vous ne trouvez pas ça injuste ? Ne faut-il pas contrôler les boites d’architecture d’intérieur (décorateur), qui se font passer par des architectes, quand il s’agit des projets qui ne nécessitent pas des cahiers de chantier ? On ce qui concerne les architectes signataires, n’est il pas le temps d’obliger l’application les taux de rémunération professionnel sous la tutelle de l’ordre ? Et comme ça personne ne jouera à la signature … Pour caricaturer un peu le scénario, je pose la chose autrement : Tu vas trouver un m3allem chkara propriétaire d’un bureau d’étude, mais jamais tu trouveras un infirmier propriétaire d’un cabinet médical Un engagement décennal dans un projet peu couter moins cher qu’une consultation chez un médecin spécialiste ! À savoir ; une signature à 200 dhs vs un conseil qui coute au minimum 500 dhs. Le citoyen marocain connait combien coute un sac de ciment sur le marche, mais un architecte ne connait pas combien coute son intervention dans un projet … puisque ce n’est pas au corps professionnel cette décision revienne mais plutôt un mec dans l’administration qui va tout décider ! Bref, je pense qu’il est temps de agir comme des professionnel et tenir notre destin entre les mains sans attendre un Salvator mundi pour l’architecture … tout simplement parce que chacun de nous est UN Salvator Mundi en soi même . Cordialement

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